Vendredi Saint
Une prière en forme de clin d’œil
Alors que nous sommes entrés dans le cœur du mystère de la Passion de Jésus, mystère du vendredi saint, il nous faut continuer à prier. Continuer, dans le silence de nos confinements. Continuer dans ces ultimes moments où Jésus, maintenant cloué sur la croix, ne pouvant littéralement plus bouger, agit pourtant avec la plus grande force : il nous gagne le Salut définitif !
Comment tenir en ce lieu et continuer à faire de nos vies une éternelle offrande, jusque même dans ces moments de dépouillement suprême et alors même que tout nous pousse au contraire à fuir ?… Fuir parce que la peur nous saisis ; fuir parce que la honte de notre péché mis à jour par la lumière crue de la croix nous saisis ; fuir parce que douleur et souffrance sont tout simplement devenus insupportables…
Recevoir et accueillir à nouveau Marie comme notre mère
C’est précisément à cet endroit limite que Jésus donne au Disciple Bien-aimé le soutien le plus précieux. Jésus lui donne Marie sa mère. A ce Disciple Bien-Aimé, celui que la Tradition reconnaitra rapidement comme saint Jean, mais qui reste anonyme dans le texte littéral de l’évangile… Il est d’ailleurs intéressant de se laisser interpeller par cet anonymat voulu et assumé par le rédacteur de l’évangile et de comprendre alors ce qu’il signifie : il nous indique discrètement, avec délicatesse, que cette place est en fait la place de chacun : dès lors que nous nous souvenons de la parole de Révélation que Jésus a donnée peu de temps avant, juste après le lavement des pieds à ses disciples : « vous êtes mes amis ! » (Jn 15, 15). C’est un fait établi : pour Jésus nous sommes ses amis ! C’est à cet ami qui, malgré toutes ses faiblesses, ses fragilités, ses vulnérabilités, malgré son péché même mais reconnu, cet ami qui sait maintenant combien ses propres forces sont vaines pour tenir devant Jésus en croix mais qui néanmoins ose s’approcher, c’est à cet ami, ce Disciple que Jésus aime, que Jésus donne Marie comme mère.
Marie qui, dès les premiers instants de son oui à Dieu, est restée et demeure totalement donnée à Lui, abandonnée en Lui. Sa vie est devenue totale offrande au Père, à la lumière même de l’offrande éternelle de son propre Fils (Héb 10, 5-7). C’est donc elle, Marie, et elle seule, qui peut nous apprendre maintenant et à notre tour, à entrer dans cette offrande ultime qui nous ouvre la porte étroite de la demeure au pied de la croix. Parce que nous le savons bien, c’est depuis cette croix que jaillira la source vive du Salut… Et tel est bien notre ultime désir quand nous prions cette prière familière du temps d’Ignace de Loyola, âme du Christ : « dans tes blessures, cache-moi ; ne permets pas que je sois séparé de Toi ».
Ne négligeons pas cette démarche simple à refaire aujourd’hui : en me présentant devant une croix du Seigneur, lui demander la grâce de l’entendre me dire « voici ta mère » et lui dire en retour ma réponse, mon acceptation de prendre vraiment Marie pour mère…
Je peux le faire avec cette image du crucifix mystérieux présent sous le dôme de notre parc des chapelains, derrière notre basilique : en regardant, en me laissant toucher puis saisir par cet échange mystérieux entre Jésus et ce disciple qui l’étreint. Ce disciple n’a pas de nom… C’est peut-être le moment favorable de découvrir que je peux y glisser le mien…!
Une offrande en forme de clin d’œil
Mais devant ce Christ aux yeux fermés, me revient alors en mémoire le souvenir d’une sœur ainée, Germaine, visitée ces dernières années avec une sœur amie, dans une EPHAD de Bordeaux. Alors que sa santé déclinait lentement mais irrémédiablement, la vie de Germaine était devenue une plainte douloureuse : « quelle sens à ma vie alors que je suis rivée maintenant sur ce lit de douleurs et que je ne reçois guère plus de visites ? » Accueillant sa souffrance et parlant avec elle, nous sommes arrivés sans le chercher, à ce point qui rappelait qu’elle pouvait néanmoins continuer à faire l’offrande de sa vie à Jésus, quelque soit ce qui allait se passer dans la journée. Découverte que cette offrande donnait à Jésus comme la possibilité d’agir mystérieusement quelque part dans l’univers, bien au delà de ce qu’elle pouvait sentir, savoir ou même percevoir… Germaine fut alors délivrée de cette souffrance morale qui accablait sa vie et poursuivit les mois qui suivirent dans une grande et profonde paix.
Pourtant ses forces continuaient à diminuer, aussi un jour, alors que je lui rappelais son engagement, une nouvelle inquiétude l’assiégeât… « Père, je ne peux même plus tenir cette offrande : ma mémoire est devenue tellement défaillante que j’oublie immédiatement tout ce que j’ai pu décider ! » Après être resté un moment en silence, pauvre de toute réponse, face à un réel incontournable, nous vint l’inspiration suivante : « Mais Germaine, vous continuez néanmoins à ouvrir chaque matin les yeux, même si votre esprit est maintenant en grande défaillance ? » « Oh Oui ! », me répondit-elle faiblement mais sans hésiter. « Alors je vous propose que nous présentions maintenant au Seigneur l’ouverture de vos yeux pour tous les matins à venir. Ils seront pour Lui le signe réel, tout pauvre soit-il, de votre offrande de chaque jour ? » Une douce lumière vint éclairer le visage inquiet de ma pauvre sœur, Germaine, sœur de Jésus, et la libéra définitivement de toute inquiétude.
Dès lors, malgré les douleurs et les handicapes de son âge, malgré les souffrances de sa maladie, Germaine vécue dans une profonde paix, jusqu’au bout, sa vie ; sa vie en véritable offrande au Père… Nous pouvons nous mettre à son école !
Germaine, toi qui as trouvé la porte étroite qui t’a permise de vivre jusqu’au bout l’offrande de ta vie comme fille bien-aimée du Père, intercède pour nous avec Marie notre mère ; aidez-nous à trouver maintenant à notre tour cette porte étroite de l’offrande de nos vies en ces temps de grande douleur et de désolation mondiale ; aidez-nous à consentir à la pauvreté de nos vies mais qu’un clin d’œil suffit à remettre chaque jour entre les mains du Père…
Père Xavier Jahan sj
de la communauté jésuite
de Paray-le-Monial
Image : Rembrandt (Rembrandt van Rijn) (1606–1669), Jésus-Christ crucifié entre les deux larrons, 1653,The Metropolitan Museum of Art, New York, États-Unis